L’assaut du Capitole : une attaque contre l’ordre démocratique

La foule des partisans de Donald Trump prend d'assaut le Capitole
La foule des partisans de Donald Trump prend d'assaut le Capitole (Leah Millis - REUTERS)

Le 6 janvier 2021, des centaines de partisans de Donald Trump, persuadés que l’élection présidentielle leur a été volée, prennent d’assaut le Capitole et interrompent la certification de la victoire de Joe Biden. De l’ampleur de l’émeute aux vagues d’arrestations, en passant par les procès pour sédition et le rôle des réseaux sociaux, retour sur une séquence inédite dans l’histoire politique américaine.

Une élection sous haute tension

Après quatre années de présidence marquées par une polarisation croissante, Donald Trump se représente en 2020 face au démocrate Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama. L’élection du 3 novembre 2020 se déroule dans un climat tendu, marqué par la pandémie de COVID-19, la généralisation du vote par correspondance, et une défiance croissante envers les institutions.

Le 7 novembre, alors que le dépouillement est encore en cours dans certains États, les grandes chaînes américaines (AP, CNN, Fox News) projettent la victoire de Joe Biden avec une majorité des grands électeurs. Trump conteste immédiatement les résultats et dénonce, sans preuve, une élection "volée".

Malgré les accusations de fraude électorale massive, plus de 60 recours judiciaires déposés par l’équipe Trump sont quasiment tous rejetés par les tribunaux, y compris par des juges nommés par Trump lui-même. La Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA) affirme que l’élection de 2020 a été « la plus sûre de l’histoire américaine » en matière de sécurité électorale.

Le 14 décembre, le Collège électoral confirme officiellement la victoire de Joe Biden avec 306 grands électeurs contre 232 pour Donald Trump. Pourtant, le président sortant refuse toujours de concéder la défaite.

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Carte des résultats des élections américaine de 2020 (Polifra & Guardian)

Discours de Trump et marche vers le capitole

Le 6 janvier 2021, date à laquelle le Congrès doit certifier les résultats du Collège électoral, des milliers de partisans de Trump se réunissent à Washington. À seulement deux kilomètres du Capitole, Donald Trump prononce un discours enflammé au parc The Ellipse, entre la Maison-Blanche et le Washington Monument, martelant que l’élection a été truquée. "Nous n'abandonnerons jamais", "On ne cède pas quand il est question de vol" répète-t-il pendant son discours.

"Nous allons marcher vers le capitole"

Donald Trump

lors de son discours devant une foule chauffée à bloc

Alors que le Congrès, lieu de pouvoir législatif qui regroupe le Sénat américain et la Chambre des représentants, débute la procédure de certification des résultats de l’élection présidentielle, l’ambiance à l’intérieur du Capitole est tendue mais conforme à la tradition démocratique. L’appel des États a commencé par ordre alphabétique, mais dès l’Arizona, des élus républicains — appuyés par le sénateur Ted Cruz — déposent une objection, qui oblige à suspendre la séance et déclenche un débat formel de deux heures. Ce délai parlementaire s’avérera décisif pour laisser le temps à la foule, massée à l'extérieur, de se rapprocher dangereusement du lieu du pouvoir législatif aux États-Unis.

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Après le discours de Trump, la foule se dirige vers le Capitole d'un pas décidé (Rebecca Tan - Washington Post)

L’assaut du Capitole

Dehors, la situation dégénère rapidement. Vers 13h, les premières barrières sont franchies, côté ouest du Capitole, par une foule en furie, composée de partisans de Donald Trump galvanisés par son discours quelques heures plus tôt. Les manifestants sont maintenant sur la colline du Capitole. Casques, gilets pare-balles, boucliers artisanaux, sprays au poivre, crosses de hockey, battes de baseball : certains manifestants sont lourdement équipés et déterminés à entrer de force. Dès les premiers contacts, la violence éclate. « Je n'avais jamais rien vu de tel en trente années à Washington », confiera plus tard Steven Sund, chef de la police du Capitole, qui démissionnera dans les jours suivants.

Les forces de l’ordre, en net sous-effectif, cèdent progressivement du terrain. Tandis que les manifestants avancent encore et encore, les dernières barrières sont franchis et plusieurs fronts s’ouvrent autour du bâtiment. Côté est du bâtiment, les mêmes scènes se produisent et les manifestants se dirigent vers les marches de l'entrée principale. À l’intérieur, sénateurs, représentants, journalistes et employés commencent à être évacués dans la panique ou confinés dans des bureaux, sommés de verrouiller portes et fenêtres.

Peu après 14h, les insurgés pénètrent dans les bâtiments. Certains flânent, prennent des selfies, s’installent dans les bureaux comme en territoire conquis. D’autres pillent et vandalisent, arrachent les cadres, renversent les tables, et laissent des messages provocateurs. Dans le bureau de Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, un émeutier se photographie, pied posé sur le bureau, avant d’y laisser une note : « Nous ne reculerons pas. »

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Richard Barnett, posant fièrement, pied sur le bureau de Nancy Pelosi (Saul Loeb - AFP)

Alors que la foule s’introduit dans les galeries, la séance du Sénat est suspendue. Mike Pence, président de séance en tant que vice-président, est évacué en urgence par les services secrets après avoir refusé de bloquer la certification des résultats, malgré les pressions publiques de Trump. Sa sécurité est sérieusement menacée : dans les couloirs, des émeutiers hurlent « Hang Mike Pence! » (« Pendez Mike Pence ! ») et installent même une potence artisanale sur l’esplanade.

Dans le même temps, un policier, Eugene Goodman, va alors faire preuve d’un sang-froid exceptionnel. Alors qu’il se retrouve seul face à un groupe d’émeutiers menaçants dans un escalier menant à une aile du Capitole, il aperçoit derrière lui, à quelques mètres seulement, l’entrée non protégée de la salle du Sénat, où les derniers sénateurs sont encore en train d’être évacués. Comprenant le danger imminent, Goodman décide de jouer la diversion : il interpelle les manifestants, les provoque verbalement et les incite à le suivre, s’éloignant ainsi délibérément de la porte du Sénat et les ramenant vers une pièce où des renforts ont pu les stopper dans leur progression.

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Eugene Goodman, amenant les émeutiers loin de l'entrée du Sénat (Igor Bobic - HuffPost)

Dans la Chambre des représentants, les élus qui n’ont pu fuir sont invités à enfiler des masques à gaz et à se coucher au sol. Les portes sont bloquées à la hâte par des meubles, des policiers postés en joue. La tension atteint son paroxysme à 14h40 lorsque Ashli Babbitt, une vétérane de l’armée, tente de forcer une issue. Elle est abattue par un agent en protégeant l’entrée d’une aile du Congrès.

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Les membres du personnel tiennent en joue les émeutiers pour les empêcher de rentrer dans la Chambre des représentants (Andrew Harnik - AP/Sipa)

La salle du Sénat est bientôt envahie à son tour. Les manifestants fouillent les pupitres, tombent sur des documents officiels, notamment ceux de Ted Cruz. L’un d’eux s’écrie : « OK, il est avec nous ! » Un autre renchérit : « Cruz veut qu’on fasse ça. C’est tout bon. »

L’assaut n’est pas qu’un débordement de foule : il est aussi politique, symbolique et idéologique. Des drapeaux confédérés flottent dans les couloirs du Capitole. Des individus liés à la mouvance complotiste QAnon et des suprémacistes blancs sont identifiés. Plusieurs pancartes antisémites sont repérées, et l’on croise des militants néonazis dans les rangs.

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Jake Angeli, au centre, alias le "QAnon shaman", parade fièrement dans le Capitole (Saul Loeb - AFP)

Un engin explosif artisanal est découvert. Une quinzaine de policiers sont hospitalisés, plus d’une centaine blessés. Un manifestant frappe des agents à coups de batte en métal. Un autre lance un extincteur sur les forces de l’ordre. Le policier Brian Sicknick s’effondre quelques heures plus tard et meurt d’une crise cardiaque. Au total, cinq morts sont recensés, dont trois pour des causes médicales, et Ashli Babbitt, abattue dans le bâtiment.

La Garde nationale finit par être déployée. En fin d’après-midi, les insurgés commencent à quitter les lieux. Le Capitole est progressivement repris. À 20h, dans un Congrès encore sous le choc mais résolu, la session reprend. Vers 3h40 du matin, Mike Pence proclame solennellement les résultats : Joe Biden est officiellement élu président des États-Unis d’Amérique.

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Validation de la victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle par Mike Pence (L'obs)

Traques et arrestations

Dès les jours qui suivent l’assaut, les autorités fédérales lancent une vaste opération pour identifier, localiser et arrêter les émeutiers. Les images abondamment diffusées sur les réseaux sociaux et les vidéos de surveillance du Capitole permettent au FBI et à la police de rapidement dresser une liste de suspects. Un site dédié est mis en ligne pour recevoir les signalements du public.

Des mandats d’arrêt sont émis dans tout le pays. Plusieurs figures emblématiques de l’émeute sont arrêtées : Jake Angeli, surnommé le « QAnon Shaman », reconnu à ses peintures de guerre et à sa coiffe de bison ; Richard Barnett, photographié les pieds sur le bureau de Nancy Pelosi ; ou encore Adam Johnson, qui avait volé un pupitre de la Chambre des représentants.

Au total, plus de 700 personnes seront inculpées dans les mois suivants, pour des faits allant de l’intrusion illégale à des actes de violence contre les forces de l’ordre, voire pour conspiration séditieuse dans certains cas. Les arrestations vont alors continuer pendant des mois voir des années, car encore en 2024, des personnes étaient inculpés pour leur participation dans cette attaque du coeur de la démocratie américaine.


Le 20 janvier 2025, à peine investi pour un second mandat à la présidence des États-Unis, Donald Trump, signe un décret présidentiel très controversé : il accorde une grâce quasi totale aux personnes condamnées pour leur participation à l’assaut du Capitole. La quasi totalité des 1 500 individus voient ainsi leurs condamnations effacées, tandis que les 14 derniers condamnés bénéficient d’une commutation de peine, équivalente au temps déjà purgé. Ce geste spectaculaire, conforme aux promesses faites par Trump pendant la campagne de 2024, marque une rupture nette avec la ligne de fermeté adoptée par la justice fédérale depuis les événements du 6 janvier 2021.

Commission d’enquête de la Chambre des représentants

Face à l’ampleur des événements, la Chambre des représentants crée en juillet 2021 une commission spéciale d’enquête sur l’attaque du Capitole. Composée majoritairement de démocrates, mais aussi de deux républicains critiques de Trump, elle vise à établir les responsabilités et les défaillances ayant conduit à cette journée du 6 janvier.

Pendant plus d’un an, la commission procède à des centaines d’auditions, y compris celles de membres de l’administration Trump, d’agents de sécurité, et de participants à l’émeute. Des documents internes sont récupérés, des SMS analysés, des vidéos étudiées. L’enquête montre que Trump et certains de ses proches ont activement entretenu l’idée d’une élection volée, convoqué leurs partisans à Washington, et laissé volontairement monter la pression.

Le rapport final, publié en décembre 2022, accuse directement Donald Trump d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection présidentielle et de ne pas être intervenu pour stopper les violences alors qu’il en avait le pouvoir. 

Il exhorte à légiférer pour que toute personne qui soit impliqué dans une insurrection soit interdite d'exercer un mandat au niveau « fédéral, étatique, ou militaire », Trump étant le premier visé par cette demande. Elle recommande aussi à l'unanimité des poursuites pénales contre l'ancien président Donald Trump, pour notamment appel à l'insurrection.

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La commission d’enquête parlementaire sur l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole lors de sa dernière réunion (AFP)

Deuxième procédure de destitution contre Donald Trump

Dans la foulée immédiate de l’attaque, la Chambre des représentants engage une deuxième procédure d’impeachment contre Donald Trump, une première historique pour un président américain. L’acte d’accusation l’impute d’« incitation à l’insurrection », en lien direct avec le discours qu’il a prononcé le matin du 6 janvier, dans lequel il appelait ses partisans à « marcher vers le Capitole ».

Le 13 janvier 2021, Donald Trump est mis en accusation pour la seconde fois, avec le soutien de dix élus républicains, ce qui marque une rupture dans son propre camp. Le procès au Sénat a lieu après la fin de son mandat, en février 2021. Même si une majorité de sénateurs, dont sept républicains, votent pour sa culpabilité, le seuil des deux tiers requis n’est pas atteint avec 57 sénateurs pour sur les 67 nécessaire et 43 contre. Il est donc acquitté, mais reste marqué politiquement par cette deuxième destitution.

Rôle des réseaux sociaux dans l'attaque

Les réseaux sociaux ont joué un rôle central dans la préparation, la mobilisation et la médiatisation de l’assaut du Capitole. Bien avant le 6 janvier 2021, plusieurs groupes complotistes ou d’extrême droite utilisent des plateformes comme Twitter, Facebook, Parler ou Telegram pour partager des appels à la violence, coordonner des déplacements et diffuser des théories sans fondement sur la prétendue fraude électorale. Le jour même, ces mêmes réseaux deviennent les principaux vecteurs de diffusion en temps réel des événements : images, vidéos, appels à l’action, messages triomphalistes ou complotistes se multiplient à grande vitesse.

Selon les données compilées par Visibrain, l’attaque du Capitole a généré 23,46 millions de tweets, soit environ 430 messages par seconde. Ces chiffres traduisent l’ampleur du phénomène sur le plan numérique et la manière dont les événements ont été documentés, amplifiés et commentés en ligne. Cette abondance de contenus a d’ailleurs été largement utilisée par le FBI et les forces de l’ordre pour identifier de nombreux participants. Mais cette viralité a aussi révélé les failles dans la modération des plateformes, qui ont tardé à réagir face à l’appel à l’insurrection. À la suite de l’assaut, plusieurs réseaux sociaux suspendent les comptes de Donald Trump et de figures influentes du mouvement, tandis que des plateformes comme Parler sont temporairement mises hors ligne. L’événement marque un tournant dans la régulation des discours violents et complotistes en ligne.

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