Affaire des assistants parlementaires du FN : verdict retentissant contre le RN, Marine Le Pen inéligible

Marine le Pen et les accusés lors du procès des assistants parlementaires du FN, au tribunal correctionnel de Paris
Marine le Pen et les accusés lors du procès des assistants parlementaires du FN, au tribunal correctionnel de Paris (Elisabeth de Pourquery - France Télévisions)

L'affaire des assistants parlementaires du Front National, aujourd'hui Rassemblement National (RN), a franchi une nouvelle étape décisive avec les verdicts rendus en mars 2025. Après plus de neuf ans d'enquête, une série de condamnations a été prononcée à l'encontre de Marine Le Pen et de plusieurs anciens eurodéputés du parti, ainsi que de leurs "assistants". Accusés de détournement de fonds publics pour un montant estimé à 6,8 millions d’euros, les prévenus se retrouvent confrontés à des peines de prison et surtout des peines d'inéligibilité qui pourraient compromettre l'avenir politique de certain(e)s. Mais ce procès, qui dépasse largement les frontières juridiques, reste marqué par des enjeux politiques majeurs, mettant en lumière l’affrontement entre la justice et les ambitions électorales de la leader du RN.

Ouverture des premières enquêtes

L'affaire qui secoue le Front National, aujourd'hui devenu le Rassemblement National (RN), a débuté en juin 2014, à la suite des élections européennes où 24 députés frontistes ont fait leur entrée au Parlement européen. Marine le Pen aurait tenu une réunion avec les nouveaux eurodéputés du parti dans laquelle elle demande à chacun de choisir un assistant parlementaire avec l'argent qui lui est attribué tous les mois pour engager des assistants (21 000 euros) et de reverser le reste au parti. Celui ci trouvera alors lui même des assistants pour les eurodéputés.

Un mois après ces élections, l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) reçoit un renseignement anonyme concernant des conditions d'emploi douteuses des assistants parlementaires de Marine Le Pen, eurodéputée depuis dix ans. Les soupçons de détournement de fonds publics vont se confirmer en 2015, lors de la publication de l'organigramme du Front National. Celui-ci révèle que 16 eurodéputés du parti et 20 assistants parlementaires occupaient des fonctions officielles, mais étaient censés être présents à Bruxelles et Strasbourg pour leurs missions parlementaires.

Le Parlement européen, préoccupé par ces informations, décide de se tourner vers la justice française, qui ouvre une enquête. Au fil des investigations, des faits troublants sont découverts. Parmi les assistants parlementaires impliqués, Catherine Griset, assistante de Marine Le Pen depuis 2010, cumule plusieurs fonctions au sein du parti, allant de l’assistante particulière à cheffe de cabinet. Thierry Légier, ancien assistant parlementaire de Marine Le Pen en 2009, était également employé en tant que garde du corps de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du FN. D’autres noms, comme Charles Hourcade, assistant parlementaire de Marie-Christine Boutonnet entre 2014 et 2015, soulignent également des irrégularités dans les rôles attribués aux assistants.

Enquête préliminaire du parquet de Paris

Le 15 décembre 2016, une enquête préliminaire est ouverte "abus de confiance", "recel d’abus de confiance", "escroquerie en bande organisée", "faux et usage de faux" et "travail dissimulé" par le parquet de Paris.

Au terme de ces investigations et des différentes perquisitions au siège du Front national, les juges d'instruction parisiens, désignés un mois après le début de l'enquête préliminaire, estiment qu'il existe un "système de détournement" concerté des fonds alloués par l'Union européenne pour rémunérer les assistants parlementaires. Le montant total de ce détournement est estimé à 6,8 millions d'euros, pour la période allant de 2009 à 2017. L'objectif de ce système, selon les autorités, était de permettre au Front National, lourdement endetté, de réaliser des économies substantielles sur les salaires. Cette fraude systématique, selon les juges, visait à financer le parti tout en utilisant des fonds publics alloués à des fins parlementaires. 

Le 8 décembre 2023, plus de 9 ans après le début de l'enquête de l'OLAF, deux jugent d'instructions ordonnent le renvoi de Marine le Pen, du Front national et de 26 autres personnes devant le tribunal correctionnel de Paris. Le procès se déroulera du 30 septembre au 27 novembre 2024. Jean-Marie le Pen, du fait de ses signes de fatigues du fait de son âge, 96 ans à l'époque, est jugé inapte à préparer sa défense et à assister au procès. Il est alors représenté par sa fille, Marie-Caroline le Pen.

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Marine le Pen à l'ouverture du procès (Denis Allard - Libération)

Ouverture du procès

Dès l’ouverture du procès, les avocats des principaux prévenus ont posé les bases : ce procès n'est pas seulement une affaire juridique, il est aussi un combat politique. En première ligne, Marine Le Pen a vivement dénoncé les poursuites, les qualifiant de manœuvre visant à l’"exclure arbitrairement du jeu démocratique". Pour elle, le parquet cherche à lui infliger une "peine de mort politique", un coup dur pour ses ambitions futures.

Un autre axe de défense majeur a consisté à remettre en cause la légitimité même de l’accusation. Les avocats ont rappelé qu'il s'agissait d'une procédure lancée suite à un signalement de Martin Schulz, alors président du Parlement européen et opposant politique de longue date du Front National. Cette origine politique de l'affaire, selon eux, entacherait la procédure d’un biais fondamental, la rendant partiale dès le départ.

Les témoignages à la barre ont, eux aussi, fait ressortir des incohérences et des faiblesses. L’un des moments les plus marquants a été l’audition de Thierry Légier, garde du corps historique de Jean-Marie Le Pen, embauché comme assistant parlementaire de Fernand Le Rachinel. Pourtant, il a continué à travailler exclusivement pour Jean-Marie Le Pen. Interrogé sur la nature de ses déplacements, il a admis qu’il ne se rendait au Parlement européen que lorsque Jean-Marie Le Pen y allait lui-même, et uniquement pour l'accompagner. La présidente du tribunal n’a pas manqué de souligner l’absurdité de la situation : "Donc vous ne travaillez pas pour M. Le Rachinel quand M. Le Pen n’est pas à Bruxelles ?" À quoi Thierry Légier a répondu, sans hésiter : "Tout à fait."

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Le garde du corps historique du Rassemblement national, Thierry Légier, au tribunal judiciaire de Paris (Thomas Samson - AFP)

Lors de l’audition de Catherine Griset, proche collaboratrice de Marine Le Pen, la défense a été mise en difficulté. Présente au siège du Front National à Nanterre, elle a reconnu qu’elle passait peu de temps à Bruxelles, bien que son contrat lui imposait d'y résider de manière permanente. À la question de la magistrate, "Vous y étiez à quelle fréquence ?", elle a répondu : "Je dirais deux nuits par semaine". Un écart qui n’a pas échappé à l’accusation.

Enfin, l’audition de Laurent Salles, ancien assistant de Louis Aliot, a aussi semé le doute dans la salle d’audience. En dépit de ses affirmations selon lesquelles "tout passait à l’oral", il n’a pu fournir aucun exemple d'activité parlementaire concrète, ni de mails ou documents pour justifier ses fonctions. Son excuse ? "Je le voyais chaque semaine", mais les rares échanges entre l’eurodéputé et son assistant se résumaient à un SMS et à un événement… autour d’une "galette des rois". Cette défense n’a pas convaincu grand monde dans la salle.

Réquisition du parquet

Après 1 mois et demi de procès, le ministère public rend son verdict. Tous les eurodéputés de l'époque ont tous des peines de prison et de l'inéligibilité requis contre eux. Dans le détail :

  • Louis Aliot: 18 mois de prison dont 6 mois ferme, 30 000 euros et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Marine Le Pen : 5 ans de prison dont trois ans avec sursis, peine qui reste aménageable, 300 000 euros d’amende, 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Bruno Gollnisch : 3 ans de prison dont 2 ans avec sursis, 200 000 euros d’amende, 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Nicolas Bay : 18 mois dont 12 avec sursis, 30 000 euros d’amende, 3 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.
  • Fernand Le Rachinel : 2 ans de prison dont 1 an avec sursis, 100 000 euros d’amende, 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Marie-Christine Arnautu : 18 mois de prison dont un an avec sursis, 50 000 euros d’amende, 3 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Mylène Troszyncky : 18 mois de prison dont un an avec sursis, 30 000 euros d’amende, 3 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Julien Odoul : 10 mois avec sursis, 20 000 euros d’amende, 1 an d’inéligibilité avec exécution provisoire.
  • Dominique Bilde: 18 mois de prison dont 1 an avec sursis, 30 000 euros d’amende, 3 ans d'inéligibilité avec exécution provisoire
  • Contre le parti, une amende de 4,3 millions d'euros est réclamée dont 2 millions avec sursis.

Après l'énoncé du réquisitoire, l’ancienne présidente du Rassemblement national (RN) a dénoncé "une volonté du parquet de priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent".

Verdict de l'affaire

Au matin du lundi 31 mars 2025, alors que les accusés ne sont pas encore arrivés, la salle du palais du tribunal correctionnel de Paris est rempli de journalistes. Marine Le Pen arrive à 9h42, sans prononcer un mot à la presse.

À 10h23, le tribunal commence à rendre son jugement. Marine Le Pen et huit eurodéputés sont déclarés coupables de détournement de fonds publics. Puis la magistrate annonce que tous les anciens eurodéputés sont tous condamnés à des peines d'inéligibilité. Marine le Pen quitte alors brusquement la salle pour se diriger vers le siège du Rassemblement National.

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Marine le Pen quitte la salle avant l'énoncé du verdict (Alain Jocard - AFP)

À partir de 12h, la magistrate va énoncer les sentences de chaque accusés. 

  • Rassemblement national (anciennement Front national) : 2 millions d’euros d’amende, dont 1 million ferme, ainsi qu’à la confiscation de 1 million d’euros saisis pendant l’instruction

Des dommages et intérêts ont enfin été octroyés au Parlement européen, différentes sommes selon les prévenus. Le tribunal a ordonné le paiement immédiat de ces indemnisations.

Les eurodéputés :

  • Marine Le Pen (ancienne eurodéputé et chef du FN) : 4 ans de prison dont 2 ferme sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Louis Aliot (ancien eurodéputé entre 2014 et 2017) : 18 mois de prison dont 6 mois ferme sous bracelet électronique, 8 000 euros d'amende et une inéligibilité de trois ans, sans exécution immédiate
  • Marie-Christine Arnautu (ancienne eurodéputé entre 2014 et 2019) : 18 mois de prison avec sursis, 800 euros amende et 3 ans d'inéligibilité
  • Nicolas Bay (eurodéputé depuis 2014, secrétaire du FN entre 2014 et 2017) : 1 an de prison dont 6 mois ferme sous bracelet électronique, 8 000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Bruno Gollnisch (eurodéputé jusqu'en 2019, ancien numéro 2 du FN) : 3 ans de prison, dont 2 avec sursis et 1 sous bracelet électronique, 50 000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Dominique Bilde (eurodéputé de 2014 à 2024) : 18 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Mylène Troszczynski (eurodéputé de 2014 à 2019) : 18 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Marie-Christine Boutonnet (eurodéputé de 2014 à 2019) : 18 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Fernand Le Rachinel (eurodéputé de 2004 à 2009) : 2 ans de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité sans exécution provisoire

Les assistants parlementaires :

  • Catherine Griset : 1 an de prison avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Thierry Légier : 1 an de prison avec sursis, 2 ans d’inéligibilité sans exécution provisoire
  • Julien Odoul : 8 mois de prison avec sursis et 1 an d’inéligibilité sans exécution provisoire
  • Yann Le Pen : 1 an de prison avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Micheline Bruna : 1 an de prison avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Guillaume L’Huillier : 1 an de prison avec sursis et 2 ans d’inéligibilité avec sursis
  • Gérald Gérin : 1 an de prison avec sursis et 1 an d’inéligibilité avec sursis
  • Timothée Houssin : 6 mois de prison avec sursis et 1 an d’inéligibilité avec sursis
  • Jeanne Pavard : 8 mois de prison avec sursis
  • Loup Viallet : 6 mois de prison avec sursis
  • Charles-Henri Hourcade : 6 mois de prison avec sursis
  • Laurent Salles : 6 mois de prison avec sursis

Les cadres du Front national :

  • Wallerand de Saint-Just (ancien trésorier du FN) : 3 ans de prison dont 1 an sous bracelet électronique à domicile, 50 000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire
  • Charles Van Houtte (responsable de la gestion des contrats) : 18 mois de prison avec sursis, 5 000 euros d’amende et une inéligibilité de 2 ans avec exécution immédiate
  • Nicolas Crochet (ancien expert-comptable du parti) : 3 ans de prison, dont 1 an ferme aménagé ab initio, 3 ans d'inéligibilité avec exécution provisoire
  • Christophe Moreau (ancien expert-comptable du parti) : relaxé

Quelle suite ?

La cour d'appel de Paris a été saisie de trois appels suite aux condamnations de 25 personnes, dont Marine Le Pen et Bruno Gollnisch. Un nouveau procès en appel devrait avoir lieu avec un jugement prévu pour l'été 2026, ce qui pourrait permettre à Marine le Pen, si elle est relaxé ou si la peine d'inéligibilité est abaissée en dessous des 3 ans, de se présenter à l'élection présidentielle de 2027.

Commentaires

Max La Menace 👤 Utilisateur
19/06/2025 22:24

super l'article mon boeuf masterclass rouya j'aime +1

Patrick Ier Ier 🛡️ Admin
19/06/2025 22:25

ça fait plaisir la team !